La revanche du terroir
A travers la France, trois jeunes
producteurs passionnés par leurs produits. Alexandre Polmard,
boucher, éleveur d'un troupeau de blondes d'Aquitaine à
Saint-Mihiel, en Lorraine ; Denis Petit, spécialiste des escargots à
Bernon, pas loin de Chablis ; Carine Bars, qui sait tout sur les
pommes de terre et les légumes oubliés, et vend les meilleures
espèces sur les marchés parisiens. Crédits photo : ©Pierre
Olivier Deschamps
Le début du siècle avait marqué
un timide retour du terroir. Dix ans plus tard, on assiste à sa
revanche, son triomphe.
Notre série d'été sur les marchés à travers la France en
vacances l'a démontré, notre tour de France des villes gourmandes
l'a confirmé: les produits issus directement de la terre, ceux
fabriqués maison sont plébiscités. Que ce soit au Touquet, à
Saint-Jean-de-Luz, au Croisic, à Arcachon, on traverse le marché à
la recherche des petits producteurs. On se méfie de ce qui arrive
directement de Rungis, calibré, aseptisé. Les petites pommes
biscornues du cultivateur normand se révèlent des souvenirs
délectables. Les grosses pommes brillantes, astiquées, en
provenance de pays lointains, n'ont ni saveur ni jus.
Pourquoi, sur le marché de l'avenue du Président-Wilson, à
Paris, les clients se pressent-ils devant l'étal de Joël Thiébault,
le maraîcher de Carrières-sur-Seine devenu la star des légumes
oubliés, champion des salades romaines sorties du champ à la fin de
la nuit pour être vendues face à la tour Eiffel dès 8 heures?
Une majorité de Français a compris que la malbouffe abrège
l'existence et assombrit la vie. Une prise de conscience qui a fait
baisser le chiffre d'affaires des rayons alimentation des
supermarchés. Dans les villages, boulangers et bouchers ont retrouvé
le moral en revenant à la qualité, un moment abandonnée. Ces
petits commerçants relèvent la tête. David a remonté la pente
face à Goliath.
Autour de Paris, face aux grandes surfaces, la charcuterie de
campagne de la famille Gouel, à Breuilpont, dans l'Eure, a conservé
et élargi sa clientèle face à l'Intermarché et au Casino de
Pacy-sur-Eure. Tout près, à Villiers-en-Désoeuvre, la boucherie
Leblond tient tête à la grande surface voisine en fidélisant
clientèle locale et résidents secondaires: ses gigots et côtes de
boeuf font la loi. Les carcasses sont bien choisies et la qualité
fait venir la clientèle. Un temps, le boudin servi à la table du 2
étoiles La Vieille Fontaine de François Clerc, à Maisons-Laffitte,
était fabriqué chez Leblond.
A l'hôtel Meurice, à Paris, le chef 3 étoiles Yannick Alléno,
créateur des cartes du Cheval Blanc à Courchevel et du Royal
Mansour à Marrakech, est devenu le défenseur passionné du terroir
parisien. Il a évité la disparition de modestes maraîchers
installés à la périphérie de la capitale en achetant, parfois,
toute leur production.
A Neuville-sur-Oise, la famille Berrurier, trois générations,
cultive toujours l'asperge d'Argenteuil à pointe rosée et le chou
couleur violine ; à Méréville, le long de la RN 20, Serge
Barberon, 60 ans, est l'un des derniers producteurs du cresson de
fontaine, culture imposée par Napoléon Ier pour endiguer le scorbut
; à Orgeval, 30 km à l'ouest de Paris, Philippe Nantois cultive ses
fraisiers à l'ancienne, de plein champ. Il demeure l'un des derniers
survivants des 160 maraîchers franciliens spécialisés dans la
fraise en 1960.
Les petits producteurs plébiscités
Sur la table du Meurice, l'agneau d'Ile-de-France de Vincent
Morisseau anoblit le fameux navarin d'agneau printanier.
Au marché provençal d'Antibes, près de la mairie, les habitués
ignorent les étals de l'extérieur pour filer vers l'allée centrale
où sont regroupés les petits producteurs. On retrouve Olivier, qui
propose ses cannelous parfumés à la fleur d'oranger ; les
confitures de Jacqueline et Gilbert Piffero, confectionnées avec les
fruits de leur verger ; le miel de Pascal Thierry, apiculteur près
de Valberg, station de sports d'hiver au-dessus de Nice. Deux cents
ruches, un miel toutes fleurs et une spécialité, le miel de ronces.
Et le plus beau stand de légumes du marché, celui de Marielle et de
sa maman, en provenance de leurs terrains et serres de Biot. Et
l'huile d'olive vraiment locale concoctée par Francis Jourdan, dans
ses modestes oliveraies de Puget-Théniers et de Gattières.
La revanche du terroir, puis sa victoire, est venue aussi des
chefs de cuisine les plus célèbres. Face aux denrées affligeantes
et sans goût venues des marchés de gros, ils se sont peu à peu
tournés vers les petits producteurs aux alentours de leur
établissement. Je me souviens d'Alain Chapel, il y a vingt-cinq ans.
Il m'avait emmené faire une tournée de ses fournisseurs, autour de
son restaurant 3 étoiles de Mionnay. Nous avions atterri dans la
fermette d'un ancien facteur devenu éleveur de chèvres et fabricant
d'un fromage exceptionnel. Une trentaine de bêtes, mais quel
produit! Les fromages se sont vite retrouvés sur les grandes tables:
Troisgros, Bocuse, la Mère Brasier... L'ancien employé des postes,
qui avait offert une première chèvre à son gamin plutôt qu'un
chien, trop coûteux pour la nourriture, avait trouvé sa voie. Une
modeste victoire du terroir sur la production à la chaîne d'ersatz
aseptisés. Et Thierry Marx, alors chef 2 étoiles du Château
Cordeillan-Bages, dans le Médoc, roi de la cuisine moléculaire mais
protecteur d'un des derniers éleveurs des fameux agneaux de Pauillac
paissant à quelques mètres des eaux de la Gironde.
Quoi de plus simple, de plus démocratique, qu'une soupe de
potiron, châtaignes et boudin noir? Ce potage est l'oeuvre d'un des
plus grands chefs actuels, Guy Savoy. Plus chic, plus cher mais
vraiment terroir, le hachis parmentier à la truffe noire de
Jean-Pierre Vigato servi dans l'hôtel particulier d'Apicius, rue
d'Artois, à Paris. Et que dire du chou farci, rustique et goûteux,
du plus grand cuisinier du monde, Joël Robuchon, servi dans son
Atelier de la rue de Montalembert, à Paris VIIe.
Pour la revanche du terroir, les super-étoilés sont aux
avant-postes, comme Michel Rostang, 2 macarons, «inventeur» du
sandwich à la truffe noire. Cher, bien sûr, mais tellement
démocratique! Le goût du vrai a déferlé vers la plupart des
restaurants de France. Les gesticulations des apprentis sorciers
mélangeant des produits contradictoires, agitant l'«extincteur»
d'azote, inventant sauces baveuses et émulsions cache-misère, se
sont écroulées dans un grand flop, victimes de leur médiocrité.
Le retour du terroir a chassé les manipulateurs, les sans talent.
La vérité, c'est la terrine fabriquée en Aveyron, la carotte
sortie de sa terre natale dans le Val de Loire, le camembert au lait
cru fabriqué à Camembert, la truffe déterrée dans le Périgord,
la côte de boeuf rassie venue d'une blonde d'Aquitaine. Certains
supermarchés, inquiets de cette concurrence inattendue, ont ouvert
un rayon terroir. La vigilance s'impose. Se méfier des imitations.
Le terroir n'est pas l'agroalimentaire. Rien n'égale les oeufs du
jour ramassés à l'aube, le tendre gigot d'un agneau de pré-salé
du Mont-Saint-Michel, la fleur de courgette cueillie avant
l'ouverture du marché. Le terroir, c'est le coeur de la France.
Alain Ducasse: «Les terroirs, c'est notre gastronomie»
«C'est la diversité qui m'intéresse et me passionne, s'enflamme
Alain Ducasse. Il n'y a pas un mais des terroirs en France. A l'Est,
dans le Sud-Ouest, en Méditerranée, en Bretagne, en Aquitaine, dans
le Nord.... les produits et la cuisine sont tous différents. Et il
faut préserver jalousement chaque identité. Évidemment, vu de
l'étranger, ça paraît compliqué mais c'est cette diversité qui
fait toute notre richesse, notre force. Les terroirs, c'est notre
gastronomie. Au-dessus de 20? avec une viande braisée, on est déjà
dans la gastronomie de terroir. Une cuisine de terroir, c'est un
sentiment populaire, accessible au plus grand nombre.»
UN INDIGNE RECTIFIE
La
Gastronomie n'est qu'un sentiment populaire,
inaccessible pour
une majorité:
Qui plébiscite les petits producteurs?
Une minorité se méfie de ce qui
arrive directement de Rungis, calibré, aseptisé. Les petites pommes
biscornues du cultivateur normand se révèlent des souvenirs
délectables. Les grosses pommes brillantes, astiquées, en
provenance de pays lointains, n'ont ni saveur ni jus.
Une minorité de
Français a compris que la malbouffe abrège l'existence et assombrit
la vie.
Une prise de conscience a minima qui
n'a pas fait baisser le chiffre d'affaires des rayons alimentation
des supermarchés, la part de marché des enseignes détenues par les
ténors de la grandes distribution est de 59%. Notre espérance de
vie augmente d'un trimestre par an !!!!
Dans les villages, lorsqu'ils en reste
le boulangers et bouchers ont retrouvé le moral en revenant à la
qualité, un moment abandonnée. C'est une illusion pour vendre un
bœuf il faut il faut 3000 clients, sauf qu'il veulent tous du
rumsteck?
Ces petits commerçants relèvent la
tête, pour combien de temps?
Ils régalent des BOBOS
nantis IDF
Autour de Paris, face aux grandes
surfaces, la charcuterie de campagne de la famille Gouel, à
Breuilpont, dans l'Eure, a conservé et élargi sa clientèle face à
l'Intermarché et au Casino de Pacy-sur-Eure. Tout près, à
Villiers-en-Désoeuvre, la boucherie Leblond tient tête à la grande
surface voisine en fidélisant clientèle locale et résidents
secondaires: ses gigots et côtes de boeuf font la loi. Les carcasses
sont bien choisies et la qualité fait venir la clientèle. Un temps,
le boudin servi à la table du 2 étoiles La Vieille Fontaine de
François Clerc, à Maisons-Laffitte, était fabriqué chez Leblond.
A Neuville-sur-Oise, la famille
Berrurier, trois générations, cultive toujours l'asperge
d'Argenteuil à pointe rosée et le chou couleur violine ; à
Méréville, le long de la RN 20, Serge Barberon, 60 ans, est l'un
des derniers producteurs du cresson de fontaine, culture imposée par
Napoléon Ier pour endiguer le scorbut ; à Orgeval, 30 km à l'ouest
de Paris, Philippe Nantois cultive ses fraisiers à l'ancienne, de
plein champ. Il demeure l'un des derniers survivants des 160
maraîchers franciliens spécialisés dans la fraise en 1960.
«Les terroirs, c'est notre
gastronomie»
«C'est la diversité qui
m'intéresse et me passionne, s'enflamme Alain Ducasse. Il n'y a pas
un mais des terroirs en France.
A l'Est, dans le Sud-Ouest, en
Méditerranée, en Bretagne, en Aquitaine, dans le Nord.... les
produits et la cuisine sont tous différents.
Et il faut préserver
jalousement chaque identité. Cette diversité qui fait toute notre
richesse et la force de nos terroirs et notre gastronomie.
C'est un sentiment populaire,
qui n'est accessible qu'a une minorités .