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lundi 23 octobre 2017

Le Code du Travail Irlandais ne doit pas peser bien lourd


Ryanair :

«Pendant le vol, on dort dans le cockpit»


Usés par des conditions de travail exténuantes, les hôtesses et les stewards de la compagnie low-cost s’activent pour créer le premier syndicat de l’entreprise.

Les pilotes, eux, démissionnent en série.

L’adresse est arrivée au dernier moment via la messagerie What’s App. Une modeste résidence située à proximité des pistes d’un aéroport belge. Pas de nom qui permettrait de sonner à l’interphone, mais un regard attentif derrière une fenêtre. Entrer en contact avec des hôtesses et des stewards en fonction chez Ryanair exige mille précautions. «N’oubliez pas de changer nos prénoms et ne donnez pas trop de détails sur notre parcours au sein de la compagnie ni l’endroit précis où nous sommes basés», demandent, en préambule, Peter et Sophie.
Ils veulent éviter les convocations disciplinaires au siège de Ryanair, à Dublin, où se déroulent les «recadrages» et le rappel à la clause de leur contrat qui interdit tout contact avec des médias.
Pourtant, ces deux membres d’équipage qui totalisent plus d’une décennie d’expérience au sein du transporteur irlandais, ont bien plus que du vague à l’âme. Les récentes annulations en série de vols les ont décidés à parler. Etape sans doute préliminaire à la création de sections syndicales, ce qui serait une première pour cette entreprise dont le PDG, Michael O’Leary, exècre toute forme de représentation des salariés.

«Pas de bureau»

La compagnie aérienne qu’il dirige est devenue, en vingt ans, la plus rentable d’Europe. En 2016, ses 427 avions ont transporté 120 millions de passagers et dégagé 1,3 milliard d’euros de bénéfices pour 6,6 milliards de chiffre d’affaires. Le climat social, en revanche, ne reflète pas vraiment ces bons résultats. Les hôtesses et stewards, comme les pilotes, s’élèvent à l’unisson pour demander d’autres conditions de travail.
«Une journée classique commence par un réveil à 4 heures. Je dois être à l’aéroport à 5 h 35 pour le briefing d’avant vol. Habituellement, il se déroule dans une salle spécialement dédiée, mais à l’aéroport de Bruxelles, ça se passe dans l’avion. Officiellement, la compagnie n’a pas de bureaux dans la capitale belge. Nous sommes opérationnels à 6 heures et nous avons alors vingt-cinq minutes pour embarquer 189 passagers. Les moteurs commencent à tourner à 6 h 30 et c’est à partir de ce moment seulement, que nous commençons à être payés. De la même manière, dès que les moteurs sont arrêtés, nous ne sommes plus rémunérés. Deux allers-retours dans la journée, cela représente quatre vols et douze heures de travail, pour lesquelles nous ne serons payés que 8 h 30. Et si jamais il y a un problème technique, le temps passé à attendre dans l’avion n’est pas comptabilisé, pas plus que si nous rapatrions un avion à vide après une avarie», détaille Peter. Lui, comme ses collègues sont payés chaque mois selon le temps de vol effectué. A 18 euros bruts, pour 75 heures, une hôtesse ou un steward perçoit 1 300 euros par mois.
Bien que résidant toute l’année en Belgique, Peter comme Sophie travaillent avec des contrats de droit irlandais. Forts de leur statut d’«anciens», ils ont le privilège d’être directement salariés de la compagnie Ryanair. En revanche, la majorité de leurs collègues sont employés par une société de mise à disposition de personnel du nom de Crewlink, également immatriculée en Irlande, qui refacture ses services à la compagnie. Interrogée par Libération, Ryanair indique que «les équipages peuvent gagner jusqu’à 40 000 euros et sont rémunérés pour leurs astreintes», sans fournir plus de précisions. Cette somme correspond en réalité au gain maximal d’un superviseur, qui encadre trois hôtesses et stewards, tout en bénéficiant d’un contrat Ryanair et non Crewlink.
Au quotidien, les arrêts maladie sont vécus avec une réelle appréhension : «La réglementation est claire. Lorsque nous sommes souffrants, nous ne devons pas voler, spécialement en cas de sinusite ou de rhume car nous risquons de nous abîmer un tympan, compte tenu de la pressurisation de l’avion en altitude. Pourtant, certains préfèrent travailler tout en étant malades, pour éviter de devoir fournir des explications.» Lesquelles se déroulent à Dublin soit un aller-retour et une grosse demi-journée mobilisée, sans pour autant être rémunéré.

«Vous ne volez pas, vous n’êtes pas payés»

Les hôtesses et stewards employés par la société intermédiaire Crewlink sont encore moins bien lotis en cas de pépin de santé : «Le principe est que lorsque vous ne volez pas, vous n’êtes pas payé», rappelle Peter. A bord des avions de Ryanair, les personnels de la compagnie sont multitâches. Durant les vingt-cinq minutes que dure une escale, ils doivent débarquer en moyenne 180 passagers, en réembarquer autant et faire le ménage entre-temps. Le placement des voyageurs est devenu un vrai casse-tête depuis que l’attribution de sièges est devenue une option payante. Le logiciel de la compagnie ne place pas systématiquement les familles ensemble. «Nous devons déployer des trésors de diplomatie pour essayer de regrouper parents et enfants en déplaçant d’autres passagers», soupire Sophie.
En vol, hôtesses et stewards se transforment en super-vendeurs de boissons, plateaux-repas, parfums et autres billets de loterie à 2 euros. Tous les six mois, ils reçoivent un compte rendu de leurs performances commerciales, que Libération a pu consulter. Dans ce document, les résultats individuels sont comparés au niveau de vente moyen réalisé dans la compagnie et gare à celui qui demeure à la traîne. A l’image de ce qui se pratiquait dans certaines écoles au siècle dernier, des séances de bachotage sont organisées. «Au retour d’un vol, le chef de secteur peut nous demander de rester à l’aéroport et nous tendre un document à lire pour bien mémoriser les dernières offres commerciales», raconte Sophie. Ryanair a même inventé l’interrogation surprise par téléphone. «Il m’est arrivé d’être appelée durant un jour de congés, afin que je récite la liste de promotions. J’étais en train de faire des courses dans un centre commercial», se souvient-elle.
Ryanair, l’une des premières compagnies aériennes à avoir mis en œuvre le modèle low-cost, mise sur des tarifs particulièrement bas. Le prix moyen d’un billet ne dépasse pas 41 euros. En contrepartie, les recettes annexes sont devenues une obsession pour la direction. Les hôtesses et stewards subissent une pression permanente pour inciter les passagers à sortir leur carte de crédit. «On ne peut quand même pas réveiller les passagers en train de dormir quand nous avons décollé à 6 h 30, pour les forcer à acheter un plateau petit-déjeuner», peste Peter, encore énervé par un vol vers le Maroc sur lequel la quasi-totalité des sandwichs disponibles étaient… au jambon. «Et après, la direction s’étonne qu’ils ne soient pas vendus.»

Turnover

La grogne est toute aussi perceptible chez les pilotes de Ryanair.
Pourtant, cette corporation est habituellement considérée comme cogérante d’une compagnie aérienne, en raison de son pouvoir de blocage lorsqu’elle se met en grève.
A la différence de leurs confrères des autres compagnies toujours prêts à saisir le passage d’un micro pour affronter la direction, ceux de Ryanair restent d’une absolue discrétion. Rendez-vous est pris dans la partie la plus recluse du lobby d’un hôtel.
Deux commandants de bord expérimentés ont accepté de se confier, à condition que l’on préserve leur anonymat.
Ils surveillent les allées et venues.
L’établissement est situé à quelques kilomètres de l’aéroport de Charleroi et la conversation s’interrompt dès lors que l’uniforme galonné d’un de leurs confrères est repéré.
«Nous n’avons pas tant besoin d’argent que de conditions de travail décentes», pose d’emblée Jean-François, qui vient de donner sa démission pour rejoindre une compagnie aérienne française.
Son collègue Eric est, lui, en «recherche active» pour quitter Ryanair.
«Ces derniers temps, nous n’arrivons plus à organiser des pots de départ tellement le turnover est important», raconte-t-il d’un ton désabusé.
«Nous sommes rémunérés à l’heure de vol. Les tarifs varient de 55 à 150 euros de l’heure suivant l’ancienneté et la qualification», explique Jean-François.
En échange, ils doivent prendre en charge tous les frais inhérents à leur fonction.
«Nous payons nos badges d’accès à l’aéroport, le parking, l’assurance perte de licence, la visite médicale obligatoire, les uniformes et même la veste de sécurité avec laquelle nous effectuons le tour de l’avion avant de décoller.
Comme Ryanair fait des économies sur l’assistance au sol, nous devons nous-mêmes monter sur une échelle et ouvrir les vannes des réservoirs pour l’approvisionnement en kérosène», détaille Eric.
A leur entrée dans la compagnie, les «jeunes» recrues doivent effectuer douze vols accompagnés par un instructeur, pour lesquels ils ne sont pas payés.
Beaucoup ont signé avec la compagnie irlandaise en raison de la stabilité que leur procure cet emploi.
Ils sont de retour chaque soir et peuvent avoir une vie de famille.
En contrepartie, ils effectuent cinq jours de travail suivis de trois jours de repos ce qui permet à Ryanair d’avoir les pilotes les plus productifs d’Europe, avec près de 900 heures par an le plafond maximum autorisé quand leurs collègues d’Air France arrivent rarement à 700 heures.
D’où quelques coups de pompes à 8 000 mètres d’altitude.
«Dès le quatrième jour, on est fatigué. Résultat, on dort dans le cockpit durant le vol, même si nous n’avons pas le droit de le faire quand le temps de trajet est inférieur à deux heures vingt-cinq», confie Eric.
Bienvenue à bord pour un vol a 41€
D'apres un texte de F BOUAIZE

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