Jean-François
Marmion, 
psychologue
 «En 2019,
les cons ne sont pas plus nombreux, ils se voient plus»
Petit
 con, gros son, sale con, connard… 
 
Le
 psychologue Jean-François 
Marmion a coordonné l'écriture 
d'un
 livre réjouissant intitulé 
 
«Psychologie
 de la connerie». 
 
Drôle
 sur la forme, sérieux sur le 
fond, l'ouvrage tâche de définir le 
concept de connerie avec le 
concours d'écrivains et de 
scientifiques parmi lesquels
 Jean-Claude Carrière, Edgar Morin, 
BorisCyrulnik ou le prix Nobel 
d'économie Daniel Kahneman.
Pourquoi
 avoir choisi de consacrer un livre entier à la connerie ?
La connerie est quelque chose
 d'extrêmement intéressant pour un psychologue, parce qu'elle est
 influencée par des émotions, des pensées, des processus sociaux. 
 
Mais alors que nous y sommes tous
 confrontés chaque jour, il n'existait pas de livre, de panorama
 général de la connerie. 
 
C'est aussi en raison de ce paradoxe
 qu'il m'a semblé intéressant d'y réfléchir avec le concours de
 grands intervenants, psychologues, sociologues, écrivains mais
 aussi spécialistes de l'intelligence et des neurosciences.
«La
 connerie n'a jamais été aussi visible, décomplexée, grégaire et
 péremptoire», écrivez-vous en préambule de ce livre. 
 
Pourquoi
 cette accélération ?
On a l'impression qu'il y a de plus en
 plus de cons alors que, d'après les spécialistes, il y en a moins
 qu'avant. 
 
Les gens sont plus éduqués, ont plus
 de recul, mais le problème est qu'aujourd'hui chacun de nous est
 plus visible grâce à Internet, que ce soit en vidéo, en photo ou
 par écrit. 
 
Fatalement,
 les cons se voient plus. 
 
Il faut ajouter à cela la prépondérance
 de ce que les psychologues nomment le biais de négativité,
 c'est-à-dire notre propension à nous focaliser sur ce qui est
 dangereux, violent ou potentiellement néfaste. C'est ce qui fait
 que sur Internet comme dans une foule, on retiendra toujours le gros
 con, celui qui sera le plus ordurier, le plus violent, le plus
 provocateur. C'est exactement ce qui se passe avec les gilets jaunes
 : alors que la majorité de ces personnes sont pacifiques, nous
 avons tous retenu les images de casse, d'affrontements et de
 dégradations, en attribuant une sorte de prime à la violence.
Pour le philosophe Edgar Morin,
 la connerie «unit l'erreur, la bêtise et l'assurance». Est-ce une
 bonne définition ?
C'en est une, mais attention : faire une
 connerie, ce n'est pas commettre une erreur. Des erreurs, nous en
 faisons tous. La connerie, elle, commence quand on persiste dans
 l'erreur parce qu'elle nous arrange et qu'on décide consciemment de
 la reproduire. Or, quelqu'un qui n'apprend pas de ses erreurs peut
 devenir nuisible, voire dangereux.
On associe souvent connerie et
 ignorance, or le livre démonte méthodiquement cette idée…
Ce n'est en effet qu'une petite partie
 du problème. Il y a des gens qui sont très intelligents, très
 éloquents, et qui défendent des théories du complot délirantes
 ou des thèses extrémistes. Ce sont ce que j'appelle de sales cons
 : des gens qui n'ont ni considération, ni empathie pour leur
 prochain. L'intelligence n'est donc pas le marqueur de la connerie :
 on peut être très cultivé et con comme un manche. On voit très
 bien ça chez nos penseurs médiatiques, qui sont capables de dire
 tout et son contraire sur des plateaux de télé à quelques jours
 d'écart, sans que cela les gêne un seul instant.
Que manque-t-il au con pour
 changer ?
La culture du doute, l'esprit critique,
 le sens de l'autodérision. Il est très rare de déceler le sens de
 l'autodérision chez un gros con. La remise en question ne lui est
 pas accessible. En fait, on ne guérit pas un connard, il vaut mieux
 le fuir, d'autant que si on le combat, on risque de renforcer ses
 convictions.
Les réseaux sociaux, cités par
 de nombreux contributeurs de ce livre, sont-ils des «amplificateurs
 à connerie» ?
Les réseaux sociaux privilégient
 l'expression d'une émotion, d'une pensée réduite, écrasée en
 140 signes, le tout avec une rapidité qui exclut tout recul, toute
 relativité. Mais c'est l'amplification de quelque chose qu'on a
 toujours connu. C'était pareil avec l'imprimerie : vous n'imaginez
 pas le nombre de conneries qui ont été imprimées et diffusées à
 l'époque de la Renaissance ! Aujourd'hui comme hier, il ne faut pas
 confondre liberté d'expression et expression de la connaissance.
L'écrivain Jean-Claude
 Carrière, qui intervient dans le livre, estime que «limiter la
 connerie, c'est une affaire de lois, de réglementations, de mode de
 vie, d'organisation de l'Etat et de la société»…
C'est vrai pour des infractions graves
 comme l'appel aux pogroms ou au lynchage, et d'ailleurs ça existe,
 mais je pense qu'il ne faut surtout pas glisser vers un encadrement
 strict de l'expression des citoyens. Il faut accepter cette liberté,
 compter sur la pédagogie et l'enseignement, qui sont censés
 permettre de développer l'esprit critique.
Einstein disait : «il n'existe
 que deux choses infinies : l'univers et la bêtise humaine. Mais
 pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue…» Sommes-nous
 condamnés à subir la connerie ?
Disons que si on attend la fin de la
 connerie sur la planète, ça peut tout de même prendre assez
 longtemps… C'est pour ça que c'est un sujet faussement léger. Il
 y a un tas de gens dont la vie a été gâchée par des cons : leur
 chef, leur concubin, leur voisin, leur harceleur… Si on y
 réfléchit, le réchauffement climatique, les guerres, la violence,
 le harcèlement sont quand même eux aussi favorisés par la
 connerie. D'ailleurs, c'est peut-être la connerie qui finira par
 nous perdre…
Pensez-vous
 avoir fait une connerie en écrivant ce livre ?
À
 vrai dire, je me suis demandé si on n'allait pas me prendre
 pour un con. 
 
 
Ce qui m'a sauvé, ce sont les
 contributeurs, qui ont tous accepté le projet avec beaucoup
 d'enthousiasme. 
 
Les premiers retours des lecteurs sont
 aussi assez rassurants. 
 
Maintenant, peut-être qu'en ayant
 accepté d'aller défendre le bouquin à la télé, je me suis
 exposé à la vindicte des connards sur les réseaux sociaux ? 
 
Comme je m'en suis retiré juste avant,
 je n'en sais rien, et ça me va très bien comme ça.
Un conseil pour finir : comment
 échapper aux cons, connards, gros cons et autres sales cons ?
Il n'y a pas de concurrence possible
 avec un con. 
 
Le meilleur moyen reste la fuite. 
 
Mais il faut aussi savoir accepter les
 petites conneries, les nôtres comme celles des autres.
Parce que si on a la prétention
 d'éradiquer la connerie, ça veut dire qu'on est soi-même en plein
 dedans…
Psy et vulgarisateur
Né en 1970, Jean-François Marmion est
 psychologue et journaliste. Rédacteur en chef du magazine Le Cercle
 Psy, il appartient également à la rédaction de la revue Sciences
 Humaines. Il s'est spécialisé depuis plusieurs années dans la
 vulgarisation de la psychologie, en choisissant de l'aborder de
 manière ludique, parfois décalée, sans jamais sacrifier à la
 qualité des travaux scientifiques. 
 
Il a ainsi coordonné un ouvrage
 intitulé «La psychologie aujourd'hui», dont l'objet est de
 clarifier le maquis des analystes, psychiatres, thérapeutes, et
 autres psychologues, et co-écrit un livre consacré aux
 psychopathologies et aux manières de les traiter.